Une blessure à l’ombre du masque
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Auteur : Sébastien Bickert

 

Une exploration autour de la question de la relation qu’il peut y avoir entre les notions de masque et de blessure.

Un voyage qui traverse différentes œuvres de fiction, autant d’étapes qui révèlent certaines utilisations du masque.

Un cheminement qui questionne autant qu’il cherche à voir clair… au travers du masque.

 

Pour télécharger la version PDF: Une blessure à l’ombre du masque

 

 

En préambule :

Une commande originale : Un masque protecteur

 

Alors que je travaillais à la rédaction de cet article, je reçois un coup de fil de quelqu’un qui veut que je lui fasse un masque en cuir pour le protéger des rayons UV. Un masque à usage médical ! Cette personne, appelons-la « Bruno », a la peau hyper-sensible aux rayons UV (hyper-allergie qui peut conduire à crise d’épilepsie), au point de ne sortir qu’avec des bandages depuis maintenant deux ans, apparemment la seule solution sans risque.

 

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Bruno, avant mon « intervention chirurgicale ».

 

 

Le témoignage de Bruno :

 

« Surtout, ne pas faire peur.

Je ne veux pas paraître pour un terroriste.

Passer pour un fou, je m’en fou.

Mais je préfère passer pour un malade, donc je demande un masque « d’un malade ».

Et d’ajouter, en plaisantant : « commande original d’un masque d’un malade pour un malade. »

Ne pas faire peur et ne pas être agressé… je passe et puis c’est tout.

Un masque qui me permette de ne pas être embêté.

En général, je ne m’explique pas, je ne peux pas m’expliquer de tout le monde. On cible à qui on donne une explication (par exemple : à la police).

Quand on se moque de moi, je ne bouge pas, je ne dis rien. On m’a déjà pris en photos, filmé…

Parfois j’en joue et ça m’amuse. »

 

Du fait de devoir sortir masqué, donc visage couvert, Bruno me dit ne plus pouvoir séduire. Il a encore sa voix pour communiquer mais plus la subtile richesse des expressions du visage.

Certains inconnus qui lui répondent, répondent au « masque » par le jeu, « en faisant le clown ». Qui dit masque dit personnage.

En ce qui me concerne, le premier contact étant au téléphone, c’est la voix de Bruno qui me le « caractérise ». Comme j’ai droit à l’explication de son cas je n’ai pas à me poser la question comme quelqu’un qui le voit dans la rue, pour moi, Bruno s’exprime « normalement », on se comprend. Bien sûr, quand il me dit qu’il sort avec le visage bandé, j’imagine ce que ça peut donner et, quand je le rencontre à l’atelier, ce que je vois n’est pas ce que j’ai imaginé. Déformation professionnel, j’observe que son « masque » est jouable, d’ailleurs Bruno ne manque pas d’expressivité corporelle. Les yeux de Bruno sont encore un peu visible, il a bien fait de ne pas opter pour des lunettes de soleil teintées. Sa femme l’accompagnant, son expressivité à elle complète celle de Bruno. Nous bavardons longuement, le masque n’entrave pas l’échange, mais le masque est le sujet de l’échange, et il y a tant à dire.

Il se trouve que ce n’est pas moi qui ai fait la prise d’empreinte de Bruno. Quand il me l’amène je découvre enfin son visage, mais… mais l’empreinte est ratée ! Faites avec du silicone, on voit bien la carnation, mais l’empreinte a dû se déformer au coulage du plâtre, nez et mâchoire sont tordues. Je vais devoir travailler sur du difforme !

Je ne verrai le visage de Bruno qu’à l’essayage du premier masque.

 

Me voilà donc à faire un masque qui ne soit pas un masque de théâtre, un masque « d’extérieur » pour la vie de tous les jours.

Je sais faire des masques en cuir qui soient confortables, mais d’autres contraintes viennent compliquer les choses.

Un masque qui ne doit pas faire peur. Mais c’est l’étrangeté qui fait peur. Quelque soit le masque, le fait de sortir masqué est étrange.

Un masque qui puisse déjà faire comprendre qu’il est utilisé à cause d’un problème de santé. Ça marche avec des bandages, éventuellement avec un masque de chirurgien ou pour se protéger de la pollution, mais en cuir ?

Il faut surtout protéger les parties les plus sensibles : nez, pommettes, front.  Il doit pouvoir voir et même mettre ses lunettes anti UV. Il doit pouvoir parler.

Un masque façonné sur la prise d’empreinte de son visage ? Qui ainsi va lui ressembler. Est-ce souhaitable ? De toute façon la fixité du cuir rigide ne fera pas illusion et puis, ça n’est pas le but.

Une sorte de Bauta ? Ce qui aura au moins le mérite de bien ombrer la partie basse du visage et de ne pas gêner la bouche. Ah… si au moins on était à Venise au XVIIème siècle… ça passerait presque inaperçu.

Bruno ne veut pas de colle, ok, on va écraser les plis et basta (on pourrait coudre mais les plis ne dérangent pas Bruno, au contraire il estime que ces plis/cicatrices participent à rendre ce masque « dans la dimension du malade »).

Le masque sera très simple, écrasé sur la prise d’empreinte, les plis seront affinés pour être plus discrets, Bruno fixera le masque en gardant bonnet et écharpe.

1er retour : Dans la rue, moins de gens le remarque, mais ceux qui le remarquent sont d’autant plus interloqués. Le principal objectif semble atteint, ils n’ont pas peur.

Nous avons ensuite ajouté une mentonnière pour en faire une protection intégrale.

 

Masque-Bruno

 

 

C’est parce que nous sommes fragiles que nous pouvons être blessés.

C’est parce que nous sommes sensibles que nous pouvons être touchés.

 

 

 

Avertissements :

– J’ai essayé de ne pas dévoiler trop d’éléments des œuvres évoquées mais il reste forcément quelques petits spoilers.

– Dans les œuvres citées, certaines images peuvent choquer la sensibilité du public.

(La liste complète des œuvres citées se trouve en fin d’article.)

 

 

 

Si, dans le titre de l’article, le masque est au singulier, il sera néanmoins questions ici du masque sous différents aspects. Masque, médium de communication, mais aussi masque en tant que métaphore. Masque qui cache et qui révèle ; masque révélateur de ce qu’il cache…

Notre visage n’est-il déjà pas un masque ? (D’ailleurs les grecs utilisaient le terme prosopon pour désigner aussi bien la figure que le masque.)

De ce que pourrait suggérer notre morphologie, mais aussi :

 

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La face d’un autre de Kôbô Abe

 

 

 

Un visage difforme :

 

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Elephant Man de David Lynch.

Un sac, masque rudimentaire qui n’a pour fonction que de cacher « l’horrible ».

Sous cette enveloppe, un autre masque qui offre plus d’expressivité au comédien.

Un visage qui ne laisse pas indifférent.

Dans le cas de John Merrick c’est l’ensemble du corps qui est malformé, à une exception notable : ses parties génitales.

 

 

De l’importance du visage, surtout dans une société « de textiles » qui ne voile pas le visage.

Notre 1ère impression, lorsque l’on rencontre quelqu’un pour la première fois (en chair et en os), se fait par sa physionomie, ses vêtements…, mais c’est en général sur le visage que l’on porte le plus notre attention, non seulement parce que nous avons appris à y voir l’expression de la personne, que c’est par là qu’elle nous regarde, que c’est de là que vient sa voix, que c’est par là qu’elle nous entend, mais aussi parce que c’est là que nous pourrons la reconnaître le plus facilement une prochaine fois (mais peut-être qu’avec de l’entraînement, on pourrait tout aussi bien y arriver avec sa silhouette ou ses mains par exemples.).

 

La déformation peut se révéler handicapante. Dans le cadre de cet article le handicap est de l’ordre de la communication et de l’intégration de l’individu avec ses semblables (qui ne lui ressemblent pas).

Un handicapé est-il un malade qu’il faut soigner ?

 

 

Le masque : Un bandage / pansement

 

Masque qu’ont en commun les blessés, au moins dans un premier temps. Une blessure se doit d’être soignée…

 

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Après, est-ce réparable ?

 

 

Des « gueules cassés » :

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Johnny s’en va-t-en guerre de Dalton Trumbo.

Un cas extrême !

On ne verra jamais le visage de Johnny, toujours caché, toujours « au secret ».

Johnny n’a plus de membres, plus de visage, sourd, aveugle, muet, plus de bras, plus de jambe.

Son cerveau, ses organes vitaux et ses parties génitales sont intactes.

Il lui reste le sens du toucher, qu’on pourrait considérer comme le principal pour être en contact avec le monde réel, avec son propre corps.

Il a donc le « minimum vital », à condition d’être maintenu en vie par la technique médicale.

Le morse est son seul moyen de communication.

« S.O.S. »

Johnny sait ce qu’il veut mais…

Johnny a besoin d’assistance.

Ses possibilités de « jeu » dans le monde extérieur sont terriblement limitées !

 

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Au-revoir là haut d’Albert Dupontel,

d’après le roman de Pierre Lemaitre.

Edouard refuse la prothèse.

Si le masque peut cacher la blessure, peut-il cacher la souffrance ?

Après avoir vu Johnny, on se dit qu’Edouard devrait apprécier de n’avoir perdu que sa mâchoire.

Oui… bon… ça fait tout de même un trou très disgracieux, surtout aux yeux d’un artiste raffiné comme Edouard.

Edouard a une liberté d’action bien plus importante que Johnny, un pouvoir de décision qu’il peut mettre à exécution, et il ne va pas s’en priver.

 

 

Narcisse se voit, se trouve beau et tombe amoureux de son image, pour finalement se suicider.

Et s’il s’était trouvé laid dans ce miroir ?

 

 

Pour la pièce Yakich et Poupatché de Hanock Levin (Cie Expressions, mise en scène de José Massei), j’ai eu à créer des masques (nez/joues) de personnages laids.

Une pièce qui ne fait pas dans la subtilité. Yakich est tellement laid qu’il ne peut trouver de femme qui veuille de lui. On finit par lui en trouver une… qui a le même problème. Ce problème résolue, un autre apparaît : Yakich n’arrive pas a… Poupatché n’étant pas à son goût… bref vous voyez.

Avec le metteur en scène nous étions d’accord, il ne s’agit pas de faire Elephant Man.

Il m’est venu à l’esprit, avec un sujet comme celui là, qu’on pourrait très bien prendre le parti de faire Yakich et Poupatché beaux et tous les autres personnages laids. Au final, ils seront tous laids, mais pas tant que ça.

Le masque permet aussi d’enlaidir les comédiens.

Et on peut faire de jolis masques de laids.

 

 

« Mal dans sa peau » / « Mal dans son masque »

 

Le mot « Mal » associé à une esthétique disgracieuse.

De même, on associe souvent la grâce à la beauté.

Mais, en réalité, la beauté est dans l’œil de celui qui regarde.

Pour un être humain, la réalité est subjective.

 

 

Mais revenons au masque qui cache la laideur

 

Il parait que des prothèses (comme celles qu’Anna Coleman Ladd a réalisée pour les gueules cassées), voir des tatouages (par exemple du téton à la suite de cancer du sein), aident à une « rééducation » mentale. Une pseudo-restauration de l’intégrité ?

 

Un masque en attendant mieux, comme dans Vanilla sky (réalisé par Cameron Crowe), un remake du film espagnol Ouvre les yeux (réalisé par Alejandro Amenábar).

Ici, le masque/prothèse à une double fonction :

– Médicale : Aider à la réparation des tissus et protéger la peau fragilisée.

– Sociale, en partant du principe que ce masque sera plus acceptable pour les autres que le visage blessé et qu’il est moins honteux pour le défiguré de cacher que de révéler.

 

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David, homme blessé, devient plein d’amertume. Il en perd la femme qu’il aime.

David choisit de fuir la douleur et de s’évader dans une vie rêvée.

Mais le rêve tourne au cauchemar.

David est en prison. Où il a droit à quelques séances de psy.

Le masque refait son apparition, rappelant la présence de quelque chose qui se cache derrière.

Quelque chose cloche.

« Ouvrir les yeux » pour faire face à la réalité.

L’enjeu : Dire « au-revoir » au passé et au rêve pour vivre au présent.

 

Cacher la blessure ne l’a fait pas disparaître. La prothèse révèle la présence d’une blessure « mystérieuse » pour ceux qui ne l’ont pas vu.

 

L’enjeu serait, soit d’éviter de devenir un monstre malgré la blessure et les cicatrices, soit de se libérer du regard des autres, de l’impact de cette déformation « monstrueuse ».

 

 

? Laideur = Monstruosité ?

 

 

L’être et le paraître

 

Le visible extérieurement prend son importance par rapport au regard de l’autre.

Le défiguré souffre de paraître défiguré. Il souffre de ne pouvoir montrer que sa blessure, et d’autant plus si l’autre ne peut voir que cette blessure.

 

Dans Les yeux sans visage de Georges Franju (adaptation du roman de Jean Redon) et La piel que habito  de Pedro Almodovar (adapté du roman de Thierry Jonquet, Mygale), le plus monstrueux s’avère ne pas être celui qui a été défiguré mais le chirurgien qui cherche à « réparer ».

 

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Les yeux sans visage de Georges Franju

A un moment, Christiane dit préférer son visage brulé au masque.

Bien sûr, tous les miroirs ont été retirés pour qu’elle ne se voit pas.

Par contre elle se voit encore dans le regard des autres.

Elle n’aura pas beaucoup d’empathie pour celle qui est horrifiée, mais la dernière victime de son père n’a pas la même réaction…

 

 

La souffrance psychologique apparait comme encore plus handicapante que les stigmates.

Souffrir d’être différent des autres, en marge.

 

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La piel que habito  de Pedro Almodovar

 

Dans ces deux films il est question du rejet d’une greffe de peau étrangère. Métaphore du rejet psychologique de se retrouver dans la peau d’un autre. Les chirurgiens n’ont pas conscience de ça et n’y voient qu’un défi technique. C’est vrai que beaucoup de patients en chirurgie esthétique veulent un nouveau visage, plus à leur « goût ».

Si l’on n’a pas le choix, sans consentement, alors il y a viol, crime !

Tout est question de choix et d’acceptation en fonction des possibilités qui sont offertes.

Bon… nous ne choisissons pas le corps de notre incarnation… mais nous construisons notre identité avec lui. Il apparait qu’il est sain de ne pas le rejeter, il apparait sage de faire avec. On peut tout de même comprendre que celui qui se sent piégé dans le « mauvais genre » veuille changer de sexe.

On comprend également la motivation du criminel en fuite qui veut changer « d’identité ».

 

Peut-on faire une distinction entre Identité et Personnalité ?

Identité = Nom + Apparence physique (si j’en crois ma pièce d’identité)

Personnalité = Psychologie d’une personne

 

On ne peut prétendre de manière catégorique qu’une personnalité soit permanente. Les meilleures typologies de personnalités prennent en compte une certaine plasticité qui permet une dynamique d’évolution, pour exemple : le MBTI (16 types) basé sur les fonctions psychologiques établies par C.G. Jung. Je n’ai malheureusement pas la place ici pour développer cette question, pour faire court je dirai qu’utiliser le mot « personnalité » c’est tenter de définir quelqu’un sur la base des préférences qu’il semble adopter. Par contre, nous pouvons figer un personnage de fiction dans un caractère. Pauvre personnage !

 

Qu’est-ce qui nous caractérise le plus : nos comportements ou notre apparence ?

 

? Apparence = personnalité ?

 

C’est ce que croient les morphopsychologues. Dans leurs ouvrages ils montrent des photographies de personnes, expression du visage et position du corps « neutres ».

Chacun son neutre, un neutre qui ne l’est pas, « neutre ».

L’apparence ne serait-elle pas plutôt une prison, une limitation, voir même un mensonge ?

Alors, si certains masques permettent d’être autres que soi, on pourrait aussi trouver des masques permettant d’être davantage « soi ».

 

Pour un art figuratif, comme l’art dramatique, c’est tout de même bien pratique de choisir le physique de l’emploi.

Mais comment choisit-on ?

 

Dans La face d’un autre de Kôbô Abe, « le narrateur a eu le visage horriblement brûlé à la suite d’un accident. De telle sorte qu’il est condamné à vivre la figure enveloppée de bandages. Depuis, sa femme a élevé entre eux un mur de silence qu’il veut à tout prix faire tomber… » Il se fait un masque qui imite au mieux un visage normal, avec les mêmes capacités d’expression. Un masque qui donc ne s’assume pas comme masque. Un mensonge. Il en profite pour changer d’apparence, par désir de changer d’identité. En fait il devient double.

 

Dans Au-revoir là haut, Edouard se fait toute une série de masques qui sont l’expression de sa créativité d’artiste.

 

L’un cherche le plus grand réalisme. L’autre se libère du réalisme.

L’un cherche La solution. L’autre suit son inspiration et multiplie les expériences.

L’un est très sérieux. L’autre est beaucoup plus fantasque.

Deux approches qui semblent s’opposer.

 

 

Aurevoirlàhaut

Des yeux très expressifs !                        Au-revoir là haut, un roman, un film et une B.D.

Masque de Cécile Kretschmar                                                      Dessin de Christian de Metter

 

« Il semble que l’histoire du pauvre petit canard se termine toujours par le chant du cygne. »

Kôbô Abe, La face d’un autre

 

Faut-il absolument un masque réaliste pour évoluer dans le monde réel ? Et donc ne s’autoriser la fantaisie que dans l’espace scénique ?

Quelle part de folie nos sociétés sont-elles prêtent à accepter et dans quels cadres ?

 

(Les citations qui suivent sont tirées de La face d’un autre.)

 

La face d un autre 19-2

 

 

Dans quelle mesure notre apparence révèle-t-elle notre « personnalité » ? Etant forcément limité et non-neutre, est-elle limitante au-point de trahir notre vérité du moment ?

Toujours est-il qu’un visage « normal » ne manque pas d’expressivité. Notre corps dans son ensemble est un merveilleux instrument de communication. Encore faut-il savoir s’exprimer et savoir quoi exprimer.

Bien sûr, il se peut que l’on exprime quelque chose que l’on préférerait ne pas exprimer.

 

« La souffrance de l’emprisonnement réside dans le fait que l’on ne peut, à aucun moment, s’évader de soi-même. »

 

De quel masque parle-t-on ?

La face d un autre 71

 

Noh-MalformedNoh

À gauche : Zo-onna, un masque de Nô traditionnel.

À droite : une sculpture de Motohiko Odani (de la série des masques de Nô malformés – 2008)

 

Pourquoi avoir voulu étouffer les expressions… du visage ?

Le masque, aux traits fixes, prend la place privilégié du visage. Il ne se contente pas d’effacer puisque l’on ne saurait ignorer sa présence. Mais, sans doute parce qu’il s’agite moins il laisse plus de visibilité à l’ensemble de l’expression du corps (comme privée d’un sens on développe les autres, le comédien masqué développe son expressivité corporelle).

La face d un autre 73

 

« … suivant l’état d’esprit de celui qui le regarde. »

 

Il laisserait donc plus de place à la lecture, à l’imaginaire du spectateur…

 

 

La face d un autre 117

La face d un autre 127

 

 

« Le masque est le masque ; il est toujours provisoire. L’essentiel de ma personnalité ne doit pas être transformé à cause de lui. »

 

« Pour obtenir l’unité de ma personnalité, il fallait que j’arrache mon masque et que je mette fin à cette mascarade. »

 

Le masque étant toujours pour lui « un autre », lorsque le masque « prend le pouvoir », lui se sent dépossédé.

 

Sauf que… Il y a l’Ivresse…

La face d un autre 146

 

« L’ivresse du masque est géniale. Sans l’aide d’une seule goutte d’alcool, il peut devenir quelqu’un qui n’est personne. »

 

« Quelqu’un qui n’est personne »… puisque le masque est masque et non une personne, on ne peut effectivement pas le définir de la même manière, il peut s’affranchir donc de certaines limitations…

 

La face d un autre 149

 

« Le génie du masque consiste en ce qu’il ne trompe pas, ni ne peut-être trompé. Je vous conseille donc de vous faire faire un masque afin que vous puissiez recommencer votre vie avec une ardeur nouvelle. »

 

Voilà un beau slogan pour l’éloge du masque.

 

Le personnage de Kôbô Abe, emporté par son ardeur, flirtant avec l’aliénation, s’ouvre à un jeu dangereux.

 

 

Le visage horrible d’une personnalité déviante, perverse

 

Un visage de monstre qui fait peur.

On en trouve un bel éventail dans les films d’horreur : Leatherface dans Massacre à la tronçonneuse, Jason de Vendredi 13, avec des masques effrayants, ou Freddy Krueger qui affiche ses cicatrices comme un masque, les exemples ne manquent pas. Association du masque et du monstre popularisée par halloween, où la masque de Scream s’est fait bestseller… que dire de cette vague de « clowns » qui agressent les gens dans la rue… ceux-là utilisent l’impunité de l’anonymat pour laisser libre cours à l’expression de leur connerie, véhiculant une bien fâcheuse image du masque, snif.

 

Le fantôme de l’opéra, roman de Gaston Leroux.

Un bel exemple romantique.

Le_Fantome_de_l_opera

 

Horrible de naissance (sans nez, son visage ressemble à une tête de mort), Erik reçoit comme premier vêtement un masque. Rejeté par sa mère. Il devient bête de foire, apprend la magie, la musique… et finit par hanter l’Opéra, dormant dans un cercueil. Et puis, il tombe sur une jeune chanteuse : Christine Daaé ; il devient son « ange de la musique »…

Le difforme souffre de la déformation de son expressivité. Alors un difforme artiste passionné comme le fantôme… pas étonnant qu’il soit prêt à tout pour que son opéra soit chanté par la plus belle voix.

 

Un extrait :

Leroux-Fantôme

 

« Vivre comme tout le monde »… une vie de rêve, un rêve somme toute assez banal, mais qui n’est pas donné à tout le monde de vivre.

 

 

Phantomoftheparadise

Phantom of the Paradise de Brian De Palma

« Fou de douleur »

Le pauvre Winslow, compositeur de génie, victime de Swan, devient le fantôme.

 

Démasquée ! Une blessure, signe visible d’un « accident » ou d’une « agression ».

 

Swan

Le diabolique Swan                                                      « La face du mal » révélée.

 

 

Baladatristedetrompeta

Sergio, l’Auguste, qui rit, et Javier, le Clown Blanc, qui pleur.

Tous deux « aimants » à leur manière. Deux monstres !

Balada triste de trompeta, d’Alex de la Iglesia

Quand la blessure devient masque.

 

Sergio et Swan sont monstrueux d’insensibilité. Javier et Winslow sont monstrueux de sensibilité.

 

De la rancœur à la cruauté.

 

Une agression qui réclame vengeance, ou revanche.

D’où le masque du vengeur en colère, figure « classique »…

 

 

Le masque : Un élément de la panoplie du vengeur ou du justicier

 

Là on pourrait mettre nombre de super-héros ou de super-vilains. Le port d’un masque leur permet de cacher leurs identités et d’impressionner leurs adversaires. D’ailleurs, souvent, ces « super » tirent leur pouvoir d’un accident. Des personnages doubles qui ne s’autorisent à utiliser leur pouvoir que sous couvert du masque.

 

 Dark-Vador

Dark Vador, un colérique défiguré qui cache sa sensibilité avec son masque de guerrier.

Lui a besoin du masque pour respirer mais il n’y a pas de respiration entre lui et son masque.

Dark Vador est « mécanisé », donc « inhumain ».

Manipulé par l’Empereur… ce n’est que lorsqu’il retrouvera sa sensibilité qu’il retrouvera son humanité.

 

Sous l’emprise du masque

 

Un peu de psychologie : il me semble pertinent d’évoquer Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même de Lise Bourbeau. Blessure du Rejet / Masque du Fuyant, Blessure de l’Abandon / Masque du Dépendant, Blessure d’Humiliation / Masque du Masochiste, Blessure de la Trahison / Masque du Contrôlant, Blessure de l’Injustice / Masque du Rigide.

Eviter… donc cacher… une faiblesse honteuse…

Le « masque » est alors une réaction de survie, une armure protectrice, une carapace.

Donc, on pourrait dire que la blessure d’injustice ressentie par Anakin Skywalker a contribuée à créer Dark Vador portant le masque du Rigide.

 

 

Le masque thérapeutique

 

Un exemple :

Le masque « neutre », souvent utilisé dans une optique de « nettoyage ».

Un masque « vide »… Une dépersonnalisation ? Dissimulation ou effacement ?

Passage au Neutre comme sas… Laisser « le moi » au vestiaire, sentir autrement avant de jouer à être autre.

 

Impersonnalité – Disponibilité – Malléabilité

 

Si le masque neutre vient cacher la personne il ne fait que mentir. Encore faut-il être un menteur très habile pour faire illusion. Demandez à quelqu’un de mettre un masque neutre sans chercher à jouer, on reconnaitra toujours cette personne.

Mais peut-être qu’imiter la neutralité permet de développer sa neutralité.

C’est que le masque s’introjecte.

 

 

Quelque soit le masque porté il s’agit d’une rencontre entre celui-ci et un comédien. Rencontre d’où nait le personnage.

Mais ce masque ne sera pas vu de l’extérieur exactement comme il sera vu de l’intérieur.

 

Ressenti du comédien – Ce qu’il montre <-> Ce que perçoit le spectateur – Ce qu’il ressent

Une équation complexe

Une relation

 

 

Du masque thérapeutique au masque initiatique, il n’y a qu’un pas.

 

Destruction – Création – Transformation

 

 

Le masque, instrument de la métamorphose

 

Au théâtre, utilise-t-on des masques pour s’évader ou des masques pour s’explorer ?

 

Quid de l’art clownesque qui consiste à l’exploitation de la blessure ?

Une vulnérabilité touchante…

Quand un défaut devient une qualité…

Quand l’imperfection devient grâce…

 

« L’art est une blessure devenue lumière. » Braque

 Kintsugi

L’art japonais du Kintsugi, symbole et métaphore de la résilience.

 

1erNezdeClown

Mon premier nez de clown.

Une cicatrice qui donne du « caractère » !

(Avant que je ne sache faire des cicatrices discrètes.)

Nez Rouge, couleur du sang, couleur qui symbolise l’énergie vitale.

 

J’en profite pour conseiller la lecture de deux ouvrages :

 

La Trans-analyse d’Imanou Risselard et Pol Charoy, de la résilience à l’éveil de la conscience

Les auteurs sont passés par l’école Lecoq, ils utilisent, entre autre, le masque neutre et le nez de clown, par contre, ils n’utilisent pas les masques de caractères, sans doute pour laisser plus de liberté aux formes qui émergent.

http://www.trans-analyse.com/Le-livre-de-la-Trans-analyse.html

 

« Lorsque l’on passe de la résilience inconsciente au processus initiatique, la blessure et les raisons de la blessure se révèlent. La souffrance devient un révélateur. Elle nous indique précisément là où nous devons éclairer et plonger notre conscience pour défaire ce qui nous fait souffrir. La douleur est à nouveau traversée. Mais nous ne souffrons plus réellement. Nous acceptons ce qui se propose à nous et nous avons les moyens et les capacités de « l’alchimier ». »

 

Tao T’es Clown de Lydie Taïeb et Jean Puijalon

http://www.clownessence.fr/web/tao-tes-clown/

 

« Pour l’Artiste, en clown ou hors clown, il est important d’arriver à mettre au point des relations de conscience correctes avec le monde ordinaire ; cela correspond au travail de fabrication de la persona. Et pour cela, la première idée à abandonner est celle que son génie d’Artiste s’alimente de sa souffrance. »

 

 

Le nez de clown, le plus petit masque, se voit comme « le nez au milieu du visage »…

 

 Penelope

Pénélope de Mark Palansky

La Belle est la Bête ?!

S’aimer tel que l’on est.

 

 

Le masque : Un jouet

 

Au théâtre, l’objet masque n’est qu’un instrument. Visage du personnage, il n’est qu’un élément du personnage et un même objet masque peut servir différents personnages ; c’est que la forme de personnification s’étend à l’ensemble du corps costumé, à la posture, à la dynamique, à toutes les subtilités qu’apportent le comédien.

Le comédien est une personne qui joue. Ce n’est pas moi, le comédien, qui m’expose, c’est le personnage que j’expose ; le masque/personnage protège, ce qui pourrait être considéré comme honteux dans la vraie vie est applaudit au théâtre. Entre le comédien et le masque, entre le réel et l’imaginaire, entre le monde intérieur et le monde extérieur, s’ouvre un espace : l’espace du jeu.

Qui dit masque de théâtre dit jeu de masques. Une pratique artistique à la fois exigeante et ludique, de quoi trouver un bon équilibre ? Que peut nous apprendre l’art du masque pour l’art de vivre ?

 

 

Au passage, je conseille les ouvrages de Stefano Scribani (décédé en 2010), une utilisation des archétypes de la Commedia dell’arte avec la méthode Masques et Attitudes (avec 9 masques, anciennement méthode Persona, avec 7 masques) : Des masques en vous et Accédez aux ressources cachées de votre personnalité.

 

« Chaque masque peut être perçu comme positif ou négatif d’une personne à l’autre. Le regard que vous porterez sur eux dépend du filtre de votre sensibilité, de vos aspirations, ni plus, ni moins.

De la proximité que nous avons avec tels masques, de l’étrangeté que nous imputons à certains, ou de l’incompréhension que nous ressentons pour d’autres, nous traçons un plan de plus en plus lisible, qui montre de quelle façon ces énergies agissent sur nous. C’est un peu comme si chacun de ces masques voulait faire de notre espace intérieur une scène où s’exprimer. »

 

Les Vibrants

 

http://www.compagnie-teknai.com/les-vibrants

http://chloecassagnes.com/masques-marionnettes-les-vibrants/

 

Masques : Chloé Cassagnes

Compagnie Teknaï

Texte : Aïda Asgharzadeh

Mise en scène : Quentin Defalt

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“Nous sommes des vibrants, Eugène. Des vibrants ! Notre vraie vie, à nous, elle est là-bas, pas ici. Là-bas, dans le foyer incandescent de toutes les passions vécues ou rêvées. ” Sarah Bernhardt

 

« 1914. Eugène, aussi beau qu’insolent, part pour le front comme engagé volontaire. Affecté à Verdun en 1916, il est blessé lors des combats par un éclat d’obus. Il y laisse la moitié de son visage. Eugène va vivre alors une irrépressible descente aux enfers : comment continuer à vivre lorsque le miroir nous donne à voir les restes de ce qui a été et ne sera plus ? »

 

Dur de se confronter de face avec sa souffrance !

 

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Extrait de l’interview que j’ai réalisée de Chloé Cassagnes :

C. C. : La demande était assez simple dans le sens où l’on m’a demandé des sortes de masques-prothèses de gueules cassées, plutôt réaliste. Moi j’ai expliqué que je ne pouvais pas faire du « trop réaliste » surtout si ça doit jouer tous les jours, à mettre, à enlever. […] Ces masques ne sont absolument pas réalistes.

S. B. : C’est un entre-deux quand même. Si tu voulais sortir complètement du réalisme ça ne serait pas ces masques là non plus. On voit qu’il y a une tentative de faire quelque chose d’assez réaliste sachant que, de toute façon, ça ne pouvais pas réussir à faire quelque chose de réaliste, parce que y’a pas les moyens techniques, parce qu’on peut pas couper le nez du comédien… C’est comme ça que je les ai ressentis. En tout cas, on a bien un truc qui arrive où on se dit : « Ah quand même c’est vrai que là c’est… c’est quand même pas beau ». Mais bon, on voit que c’est un masque, on voit les élastiques.
Et donc ça a été accueilli comment par les comédiens ?

C. C. : Plutôt bien. Ils étaient confortables dedans. Etrangement, moi j’étais pas sûr que c’était des masques, je savais pas trop ce que c’était, je ne savais pas trop dans quelle mesure c’était un méga maquillage ou… j’étais pas hyper convaincue du côté masque de l’objet. Et un jour, je tombe sur un article, le comédien principal parle du masque, expliquant à quel point, lui, ça le plonge dans ce personnage, à quel point il a besoin de ce masque qui le contraint, dans la voix, dans la manière de respirer… ça a vraiment une action sur lui qui fait que ça lui permet, dans son corps, dans son jeu, d’être ce personnage là. Et c’est rigolo, parce que, de mon point de vue de sculpteur j’avais des gros gros doutes là-dessus, et en lisant ça je me suis dit « Ah, bah écoute, tu vois que, sans le savoir, t’as fait un masque, dans ce cas. », parce que, dans ce qu’il décrivait, on se rapprochait d’un travail masqué, quelque part, d’un personnage que s’est mis en contact avec le comédien qui le porte.

 S. B. : Et par rapport à la prothèse et au nez de Cyrano ? Ça serait intéressant de savoir si pour lui ça fait une différence, enfin, la relation du personnage avec la prothèse c’est pas la même que la relation avec la blessure et qu’avec le nez de Cyrano. La prothèse, tu aurais des trucs à me dire sur la prothèse ? Est-ce que tu as vu des images de prothèses ?

 C. C. : Oui… Bah la prothèse… je sais pas…

 S. B. : C’est moins intéressant les prothèses…

 C. C. : Bah c’est quelque chose de très fonctionnel.

 S. B. : Qui est censée moins se voir que ce que ça cache. Tu t’es posé la question de savoir si elle devait être discrète ou pas ?

 C. C. : Je me suis posé la question de savoir si elle était de la même couleur ou pas. J’imaginais qu’à l’époque les prothèses n’étaient pas couleur peau et en fait si. Je me suis dit « dans ce cas je fais quand même une prothèse qui, quelque part, se fond avec la couleur peau sans qu’elle se fonde complètement. », qui soit pas notée comme plus visible que ça par rapport au masque du Cyrano pour le coup, qui lui est vraiment d’une autre couleur, d’une « couleur de masque », comme un masque en cuir. Pour le coup je ne trouvais pas ça forcément judicieux de faire le nez de Cyrano de la même couleur que sa peau, mais ça aurait pu.

 S. B. : Bah, c’est-à-dire que la plupart du temps c’est ce qui se fait.

 C. C. : C’est ce qui se fait mais du coup le nez de Cyrano devient une prothèse.

 S. B. : C’est une espèce de mélange entre les deux, parce que ça se veut intégré et discret comme une prothèse mais, en même temps, on sait que c’est un masque puisque c’est un personnage de théâtre, il doit avoir un long nez et que, même à Depardieu, on lui a mis un faux nez alors qu’il n’en avait pas forcément besoin.

 C. C. : C’est vrai que je ne sais plus quel a été mon raisonnement à ce moment là mais…

 S. B. : Bah, ça fait parti du sujet de l’histoire que le comédien joue Cyrano, donc il ne s’agit pas de bluffer par tes qualités de maquilleuse le public par rapport à Cyrano, Eugène porte justement un masque parce qu’il joue un rôle… d’ailleurs, à la fin il jette le nez… Ça me semble évident qu’il devait ressortir et même qu’il devait être long. Eugène n’a pas de nez, la première réaction qu’il a lorsqu’on lui fait lire la tirade c’est qu’il trouve ça ridicule, parce que, justement, lui il n’a pas de nez, il n’a pas encore fait « tilt » qu’il y a un rapport, un lien entre le problème de Cyrano et le sien. Lui il n’a pas de nez du tout, donc tu fais un nez super long.

 

(Version intégrale : Interview de Chloé Cassagnes Créatrice de masques pour Les Vibrants)

 

 

« Grâce au théâtre, à Cyrano de Bergerac et à la persévérance de Sarah Bernhardt, Eugène, va découvrir ce qui est au-delà. »

 

L’art permet une exploration symbolique de la souffrance pour découvrir ce qui est au-delà… de la souffrance.

 

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Si jouer Cyrano aide Eugène c’est parce qu’ils ont en commun le désespoir de la « disgrâce » nasale, et parce que jouer c’est vivre en échappant à soi-même tout en étant brillamment expressif, « incandescent ».

 

En tant que facteur de masques j’ai déjà eu à faire plusieurs nez de Cyrano, pour l’un d’eux, mise en scène par Henri Lazarini, avec Benoit Solès dans le rôle titre, nous nous sommes dis que le nez de Cyrano n’est pas forcément laid ; son nez se remarque par sa longueur. Le problème c’est que Cyrano en a fait un complexe.

 

Cyrano-Solès

Dans cette mise en scène le comédien joue Rostand qui joue Cyrano (d’où le nez-joues qui s’assume comme masque).

La cicatrice sur le nez est inspirée d’une cicatrice réelle du comédien à cet emplacement (Un comédien au physique « avenant ».).

Une cicatrice – Une faille

Une crevasse dans laquelle sombrer ou une fissure qui laisse passer la lumière ?

 

Cyrano, personnage inspiré, entre autre, du Capitan de la Commedia dell’arte, qui, des archétypes de la commedia, est, je peux l’avouer, celui qui m’amuse le plus à revêtir. D’ailleurs, l’on ma fait jouer un jeune premier qui, pour cause de timidité maladive, se pare du masque de Capitaine pour trouver son courage. Cela dit, ce masque joue aussi magnifiquement la peur, et c’est là qu’il est le plus drôle.

 

Cyrano hérite du masque du Capitaine un nez d’une longueur qui peut évoquer l’épée du guerrier. Cyrano est un duelliste plein de panache.

Mais, dans le domaine de l’amour, Cyrano reste dans l’ombre du masque « Christian » qu’il utilise pour offrir ses mots d’amour à Roxane. « Mal dans son nez » il se condamne lui-même à la solitude en cachant la vérité à Roxane. Tragique ! Pour soulager le spectateur, l’auteur fait savoir à Roxane la vérité, il amène donc le message complet à son destinataire. Au moins la vérité est sue. Réponse : Elle l’aime aussi. Ainsi le spectateur peut jouir de l’amour victorieux par la réciprocité des sentiments, ainsi que de la beauté tragique d’une fin où ils ne seront réunis que dans la mort.

C’est tout de même un beau gâchis.

 

Aussi, dans les Vibrants, l’auteure préfère qu’Eugène jette le masque de Cyrano et salut « à vu ».

 

Le masque de Cyrano l’a certes aidé à se reconstruire (un objet transitionnel thérapeutique), mais il ne saurait l’accompagner jusqu’à l’acceptation de « soi ».

Etre « vibrant », ce serait s’autoriser à vivre en son nom, tel que long nez – désolé, je ne pouvais pas passer à côté de ce jeu de mot un peu facile. Le personnage, blessé, ne peut cacher sa blessure, mais il n’est pas que sa blessure. Derrière le masque hideux d’un visage défiguré il y a une belle âme qui mérite de vivre le bonheur d’un amour partagé. Du fait de cette « repoussante horreur », l’amour de Sylvie (l’infirmière) nous apparait pur, au-delà de l’apparence. Mais ne tombe-t-elle pas justement amoureuse de l’homme blessé pour sa sensibilité ?

 

Dans la relation amoureuse, l’intime se dévoile. Et l’intime, c’est, entre autre, la « blessure », le « pas beau »…

Oser découvrir sa part d’ombre… Oser regarder dans l’obscurité de l’autre…

 

Eugène en se mettant à faire du théâtre effectue une action qui le sort de ses ruminations. Il se remet en mouvement en mettant en jeu sa souffrance sous couvert du masque.

Mais le théâtre reste un monde d’illusion…

Espace/temps du rêve, théâtre en tant que monde virtuel, qui peut être interprété comme fuite de la réalité.

Mais ne parle-t-on pas souvent de « présence », de « sincérité » à propos des comédiens ?

Merci chers personnages… au-revoir… les comédiens reviennent pour les saluts, sans masque.

Derrière le personnage il y a bien un être en chair et en os qui brûle les planches. Vivant !

Le tout est de rester « vibrant » en sortant de scène.

 

 

Frank (0)

Un masque « protecteur » qui a beaucoup servi !

Frank, Film de Lenny Abrahamson.

Frank est un artiste, un musicien inspiré.

Frank n’enlève jamais son masque, car, sans le masque, Frank perd ses moyens.

 

L’objet masque n’a pas de pouvoir en tant que tel, mais il a le pouvoir que l’on projette sur lui.

Le masque, une protection, mais aussi un objet qui permet de laisser à distance « supportable » les autres.

Le masque affirme son « étrangeté », mais ne facilite pas la communication ; pour beaucoup, Frank restera un « incompris ».

Un bouclier qui prend les coups, mais qui limite Frank dans sa vie relationnelle.

Pour partager son intimité il faut oser se dénuder, quitte à exposer une part de soi particulièrement sensible.

 

Ainsi le masque est une arme à double tranchant et il serait plutôt sain de ne l’utiliser que comme un objet « provisoire », « transitoire ».

 

Retour à soi, quoi qu’il en soit.

Mais, sans doute, un peu différent, transformé par l’expérience masquée.

 

Peut-être : se détacher de l’identité (définissable) pour vivre sa singularité (indéfinissable).

Une singularité qui s’invente dans l’instant…

 

Un masque polymorphe, malléable ?

 

L’enjeu ne serait-il pas d’être conscient de porter un masque ?

Un masque qui s’ignore ou un masque qui s’assume ?

Sachant qu’avoir conscience du masque c’est avoir conscience du jeu.

Des masques au service du Je.

Le monde est-il un théâtre ?

 

Dans un monde d’image le miroir est roi.

Un miroir parfois cruel.

Un miroir parfois trompeur.

 

Mais qu’est le théâtre, monde de l’imaginaire, sinon un miroir…

Un miroir dans lequel on voit ces autres qui nous reflètent…

Un miroir pour faire face aux masques…

Ces masques que nous portons sur nous, en nous.

 

Je te souhaite, cher lecteur, quelques soient tes masques, d’en faire bon usage.

 

 

 

 

Œuvres citées :

 

 

Romans

 

– La face d’un autre de Kôbô Abe

 

– Le fantôme de l’opéra de Gaston Leroux

 

 

 

Films

 

– Elephant Man de David Lynch

 

– Johnny s’en va-t-en guerre de Dalton Trumbo

 

– Au-revoir là haut d’Albert Dupontel (d’après le roman de Pierre Lemaitre, aussi adapté en BD par Christian de Metter )

 

– Vanilla sky, réalisé par Cameron Crowe (un remake du film espagnol Ouvre les yeux, réalisé par Alejandro Amenábar)

 

– Les yeux sans visage de Georges Franju (adaptation du roman de Jean Redon)

 

– La piel que habito  de Pedro Almodovar (adaptation du roman de Thierry Jonquet : Mygale)

 

– Phantom of the Paradise de Brian De Palma

 

– Balada triste de trompeta d’Alex de la Iglesia

 

– Star Wars de Georges Lucas

 

– Frank de Lenny Abrahamson

 

 

 

Pièces de théâtre

 

 

– Yakich et Poupatché de Hanock Levin

 

– Les Vibrants d’Aïda Asgharzadeh

Compagnie Teknaï, Mise en scène : Quentin Defalt, Masques : Chloé Cassagnes

http://www.compagnie-teknai.com/les-vibrants

http://chloecassagnes.com/masques-marionnettes-les-vibrants/

 

Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand

 

 

 

Livres

 

 

– Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même de Lise Bourbeau

 

– La Trans-analyse d’Imanou Risselard et Pol Charoy

http://www.trans-analyse.com/Le-livre-de-la-Trans-analyse.html

 

Tao T’es Clown de Lydie Taïeb et Jean Puijalon

http://www.clownessence.fr/web/tao-tes-clown/

 

Des masques en vous et Accédez aux ressources cachées de votre personnalité de Stefano Scribani